Friday, July 01, 2005

Mes débuts en tant que maman au chômage

Si j’avais su comment ma journée se passerait, je crois que jamais de ma vie je ne me serais levée ce matin….mais je n’avais pas tellement le choix.

La mission du jour était d’accomplir les démarches pour m’inscrire au chômage, à savoir à l’orbem (l’Office Régional Bruxellois pour l’emploi) et à la capac (caisse de paiement).

Mission de prime abord facile à accomplir. A en lire les indications sur le site web : on se rend chez eux avec les papiers requis et on en ressort avec une jolie carte bleue qu’il faut présenter 2 fois par mois à la commune. Bref, rien de plus simple, d’autant plus que l’orbem, on peut s’y inscrire par internet, ce que je me suis empressée de faire.

Le reste de la journée ne fut que succession de petits détails qui ont fait de ma journée un cauchemar…

La première étape de mon périple était de me rendre à la « B.S », mes anciens employeurs, afin d’y retirer le fameux formulaire C4 qu’on m’avait promis depuis qq jours…et qui, comme d’habitude, n’était pas prêt à temps.

J . me propose donc gentiment de nous conduire, le Cracoucas et moi : plus vite on sera à la « B.S. », plus vite on sera à la Capac et plus vite on sera rentrés.

Me voilà donc avec Monsieur Cracoucas à 9h15 à la Bibliothèque, juste à temps puisqu’il commence à pleuvioter. Je gare la poussette dans un coin, j’attrape le Cracoucas sous le bras et je grimpe les escaliers pour aller voir «Mme M. » , la comptable, qui détient le précieux sésame.
Pas de chance, pas de Mme. M. Bon….sa stagiaire Mlle. S. n’est pas là non plus. J’attends un peu, j’en profite pour parler à mes ex-collègues (ben oui, ça fait 3 jours que je ne les ai plus vus…). J’appelle la Capac qui me dit de venir m’inscrire même sans C4, on verra plus tard.
Et voilà que Mlle. S arrive…mais ne sait absolument pas de quoi je parle. Je m’énerve un peu, exige que l’on m’envoie le document le plus rapidement possible par coursier ….et je m’apprête à partir.

Ben non, pas de chance, ça y est, c’est le déluge. Mais quand je dis le déluge, je veux dire la pluie qui tombe comme une pluie tropicale dans la jungle, on voit à peine à 100 m et absolument IMPOSSIBLE de faire 2 m là-dessous.

Comme il faisait beau en partant, je ne suis vêtue que d’un gilet léger. Le Cracoucas, quand a lui, a un t-shirt à manches longues et un manteau…mais pas de plastique pour sa poussette. Bref, impossible de quitter la « B.S. »…

J’attends que ça passe, sauf que ça ne passe pas. Là-dessus, une gentille ex-collègue dont la voiture est (illégalement) garée devant la porte, me propose de me conduire au métro. Génial. D’ici à ce que j’arrive à la station près de la capac, c’est sûr, la pluie aura cessé. Ma collègue me tend un petit sac poubelle au moment où je sors de la voiture, on ne sait jamais, ça peut servir.

Bref, je fonce dans le métro et j’en profite pour téléphoner à ma copine Garance pour me plaindre déjà de ce qui est arrivé : déluge, pas de C4, etc. Tant et si bien que je rate ma correspondance. Pas trop grave, si je sors à l’arrêt d’après, je peux attraper un tram qui me rapprochera de la capac. Je sors donc du métro. Du moins j’essaie, non sans mal : barrières trop petites pour la poussette, pliage de poussette, on passe, dépliage de poussette, escalator en panne, pliage de poussette, on monte, dépliage de poussette, arrivée dans le tram, pliage de poussette, on entre, dépliage de poussette. Bon. Je sors du tram sous la pluie qui n’a absolument pas cessé, j’emballe donc le Cracoucas dans le sac poubelle. Et là faut que je vous explique une chose.

Le quartier où se situe la capac, derrière la gare du nord de Bruxelles est réputé pour ses péripatéticiennes en vitrine. Oui, de la même manière que l’on fait du lèche vitrine avant d’acheter des chaussures, ben là de gros dégueulasses font leur lèche vitrine de prostituée. Charmant. Et pathétique à un point qui me donne toujours un peu envie de pleurer. Ce quartier, je le connais vaguement : lorsque j’étais étudiante, mes copines les plus fauchées trouvaient des chambres très bon marché dans le coin – lorsque nous étions invités à boire un verre, elles nous indiquaient le chemin : « 3e pute à droite, puis c’est la 2e maison après le néon bleu ». Bref, comme je l’ai dit, très triste.

Je me perds donc dans le dédale des rues, trempée par la pluie, emmenant mon fils de 9 mois sous un sac poubelle, voir les putes.

Heureusement, J. m’avait prêté son plan de Bruxelles et je trouve rapidement la Capac. : vieux bâtiment des années 60 qui a excessivement mal vieilli. L’intérieur est placardé d’affiches : « veuillez ramener vos cartes au bureau D, couloir 3, 3e sous sol, 1e à droite, porte bleue. », « nous vous signalons que les porteurs du formulaire A358 sont conviés uniquement les mardis des mois en ‘r’ lorsque ça tombe un jour impair » …etc. Tout, sauf des indications sur ce que moi pauvre petite bourge protégée (et un peu secouée par le trajet jusqu’à la capac) a à faire pour m’inscrire. Pas grave, je suis débrouillarde, me dis-je. Je regarde un peu les gens et les affiches (pas facile, j’ai cassé mes lunettes il y a une semaine, impossible de paraître discrète dans ces cas-là). Je trouve une salle où tout le monde a l’air d’attendre son tour devant des guichets. Parfait, c’est là que je devais être. Bon, où sont les tickets ? Voilà la machine. Ah, sauf que dessus, il y a écrit « machine en panne, veuillez vous adresser au guichet à l’extrême droite ». Un coup d’œil vers le guichet : il y a 5 personnes devant. Bon, je me mets dans la queue. 10 minutes plus tard, rien n’a bougé. Et là, je vois 2 filles, visiblement des habituées, qui se dirigent sans hésiter vers le guichet voisin, fermé (donc celui AVANT celui à l’extrême droite) sur lequel est posé de manière peu évidente un rouleau de tickets. Ah bon, c’était là ! Bon je prends mon ticket, les 3 types derrière moi (des bleus, comme moi) avaient apparemment fait la même erreur…ça va, je ne suis pas la seule. Mon ticket porte le numéro D36. Je jette un coup d’œil à la machine qui affiche quel numéro est le suivant à être appelé…..HORREUR ! C’est le numéro 57 ! Ce qui veut dire qu’ils n’ont même pas encore commencé la série D. Mais alors le numéro 57 de quelle série ? A, B, C ? Et puis, 57, oui, mais sur combien ? 100 ? 150 ? 1000 ?

Les larmes commencent doucement à monter. Il est 10h30. Le Cracoucas ne va pas passer la journée ici, je ne peux pas repartir et revenir dans l’après-midi, je n’ai personne pour me garder Monsieur Cracouc si je reviens demain seule, et puis demain, ce n’est ouvert que le matin, je ne suis pas sûre de pouvoir passer….et j’ai 2 jours pour m’inscrire. C’est la loi.

Bon…première chose, je vais trouver un coin sympa où attendre. Comme j’ai laissé les roues de la poussette à l’entrée (ah oui, parce que la capac, en plus, c’est pas fait pour les personnes à mobilité réduite, hein, c’est bourré d’escaliers) je décide d’aller les rechercher avant qu’un malotru ne me les vole. Le Cracoucas dans son cosy dans une main, je plie les roues de l’autre, retenant toujours mes larmes….quand j’entends derrière moi, une voix étonnée : « Anne-So ? » Je me retourne….et je tombe dans les bras de Raphaël…ben et là, les larmes ne s’arrêtent plus : « je sais pas où je dois aller, j’ai même pas mon C4, j’ai le numéro 36, je comprends rien, dans une heure, le Cracoucas va hurler de faim, je suis trempée, chargée comme un baudet, je comprends rien etc etc etc ».

Raf, ben ça le fait sourire, parce qu’il est déjà passé par là…et il s’est déjà retrouvé dans le même état. Mais lui, c’est un pro de la capac apparemment et du coup, il devient mon coach capac. Déjà, il m’annonce que je suis au mauvais endroit : les lettres K-Z, c’est à l’étage. Ah bon ? C’est indiqué où ? Nulle part. OK. Lui, il le sait pour avoir faire la queue pendant 1h la première fois avant de s’en apercevoir. Et encore, les gens de la capac ne lui ont rien dit, il a du se renseigner auprès des gens qui attendent autour.

Bon, comme je dois me rendre à l’étage (poussette et tout le tralala aussi), il y va à ma place, voir où ça en est pour qu’on décide ce qu’on peut faire.
Moi, de mon côté, je prends mon GSM et j’appelle J. pour lui demander le numéro de la Capac, pour les appeler, pour savoir si quand j’aurai enfin mon C4, je devrai me RE-présenter là bas, ou s’il suffira que je leur envoie ledit C4 – oui, parce que je ne compte pas refaire la queue là, hein ! Et puis par téléphone, j’aurai plus vite une réponse que si j’allais au guichet « info », devant lequel 25 personnes attendent.
Pas de chance, il est 11h et plus personne ne répond.

Entre temps, Raf redescend et m’annonce qu’ils viennent de commencer la série A des tickets…et qu’il m’a pris un ticket : B1. Avec un peu de chance, je passerai la semaine prochaine…bon soyons optimistes, peut être que vers 17h, j’ai mes chances…S’ils restent ouverts jusque là.
« Ah, mais attends…je suis venu ce matin prendre un ticket à 9h30, c’est le A52 et finalement, je n’en ai pas eu besoin, tu peux le prendre » me dit Raf.
Cool, juste une cinquantaine de numéros….je n’en ai que pour quelques heures.
Raf me propose alors de nous reconduire à la « B.S. », voir si Mme. M. est arrivée. On fonce donc vers mon ancien bureau. Une chance : Mme. M. n’est pas là, mais Mlle S. l’a appelée entre temps et peut donc me donner le fameux C4.

Comme on a encore beaucoup de temps devant nous, j’invite Raf à déjeuner chez Exki. Le Cracoucas en profite pour faire son charme à Raf et tous les gens qui passent. Adorable ! Il déjeune proprement, joue avec son jeu, goûte un peu de yaourt à la vanille…bref, je crois qu’il a compris qu’aujourd’hui, fallait se tenir à carreaux…

Après cet intermède fort sympathique, on repart, direction….ben la capac, tiens. Petit tour parmi les putes pour trouver une place de parking. On voit plein d’hommes de bonne famille qui visiblement terminent leur pause déjeuner.

1e étage : ils en sont au numéro 19. En 1h30, 19 personnes ont été servies. Bon, ben j’ai le temps alors.

Un haut-parleur nous annonce alors que vu le nombre des personnes présentes, ils ne serviront que les personnes munies d’un ticket de la série A. Une chance donc que Raf m’ait filé son ticket A52 qu’il a eu à 9h30 du mat…parce qu’avec mon B1 de 11h, je pouvais revenir le lendemain.

Raf doit repartir. Il a déjà perdu la moitié de la journée à cause de moi, je ne vais pas le garder en otage plus longtemps. Vite avant de la laisser filer, je lui demande de me garder le Cracoucas pour que j’aille faire pipi….pas si simple. D’abord, il me dit que je dois aller demander une clé au guichet info. Ca tombe bien, il n’y a qu’une dame à ce guichet . Enfin, la dame, visiblement, elle a besoin de beaucoup beaucoup beaucoup d’infos, puisqu’elle y reste ¼ d’heure. Arrive mon tour. Je m’approche du guichet, j’ouvre la bouche et la dame de l’autre côté du guichet m’interromp : « vous avez votre ticket ? ».. .
Moi : « euh, non, je ne savais pas qu’il fallait un ticket pour le guichet info »
La femme : « on ne sert que les gens qui ont un ticket »
Moi : « oui, mais…. »
La femme (m’interromp encore, je déteste ça) : « pas de ticket, pas d’info »
Moi « mais…. »
La femme : « je ne veux rien savoir »
Moi (qui commence tout doucement à m’énerver) : « comment ça, vous voulez vraiment que je prenne un ticket pour vous demander où je peux faire pipi ??? »
J’ai dû le dire un peu fort parce que les gens autour se sont retournés et je me suis sentie rougir….
La femme « c’est au sous-sol »

Je fonce au sous-sol laissant Monsieur Cracoucas et mon sac sous l’œil vigilant de Raf.

Au sous-sol, il y a aussi beaucoup de guichets, 5 ou 6 portes avec un signe « entrée interdite »….et c’est tout, pas de toilettes. Je demande autour de moi, personne n’est au courant. Je monte au rez de chaussée (on sait jamais)…et là, en effet, je tombe sur une femme qui est en train d’ouvrir des toilettes avec une clé. Je lui demande donc si je peux aussi profiter de sa clé. Elle me dit d’un air gêné qu’elle me laissera la clé et que je n’aurai qu’à la ramener parce qu’elle est pressée…puis elle se souvient que pour avoir la clé des toilettes, elle a dû laisser sa carte d’identité…Et elle préférerait donc que j’aille la demander moi-même après.

Enfin, ce qui voudrait dire que je devrais remonter au 1e, prendre ma carte d’identité, aller au sous-sol, prendre un ticket spécial « guichet info sous sol », faire la queue en attendant mon tour, troquer ma carte d’identité contre une clé, monter faire pipi, redescendre, reprendre un ticket, refaire la queue, rendre la clé et reprendre ma carte d’identité, et remonter au 1e.

N’importe quoi, d’autant plus que je monopolise Raf depuis 10h30 du mat, je vais aller le libérer. Je remonte donc, la vessie prête à exploser.

Bref, Raf s’en va, (j’ai un peu les larmes aux yeux à ce moment-là…je me sens tout à coup très très seule)
Le Cracoucas, qui jusqu’à présent était adorable, commence tout doucement à s’impatienter….compréhensible, le pauvre, ça fait depuis 9h ce matin, qu’il est sage comme une image.
Je le sors de sa poussette, il râle, je le remets, il râle, je le ressors, il râle, je l’assieds sur un banc, il se met debout et commence à bouffer le dossier du banc, je l’enlève du banc, il râle. Etc.

Enfin, tout ce petit manège a l’avantage de faire passer le temps et à peine 1h après le départ de Raf, voilà que c’est mon tour de passer.

Youpi !!! champagne ! J’ai bien envie de danser mais j’ai trop peur qu’on me vole ma place. Pas grave, le Cracoucas a dû comprendre puisqu’il se met à chanter pendant qu’on fonce au guichet. Tant et si bien que je n’entends pas tellement ce que me dit la femme de l’autre côté…et que je n’arrête pas de lui demander de répéter.

Elle m’annonce que le motif de mon C4 n’est pas suffisant : licenciement, oui mais pourquoi ? D’autre part, il me faut un document de Partena attestant que j’ai été en congé de maternité l’année dernière. Pendant un moment, j’ai peur qu’elle me renvoie chez moi jusqu’à ce que j’ai tous les documents requis. Mais non, elle me demande simplement de les envoyer dans les 2 mois. M’annonce que je dois dès demain matin aller pointer à la commune d’Etterbeek, m’explique en gros comment tout fonctionne…et me voilà prête à quitter ce maudit endroit.

Dépliage de poussette, on redescend, je m’arrête pour rhabiller un peu le Cracoucas afin d’affronter la pluie, j’en profite pour appeler J….et je refonds en larmes. Et là, impossible de m’arrêter. Et me voilà, sous la pluie, sous les fenêtres des prostituées en train de pousser ma poussette dans une rue drôlement en pente, les larmes me coulant le long des joues. Un vrai bébé, quoi.
J’appelle Séverine qui me console (c’est à ça que ça sert, les grandes sœurs, parfois)

Tram, pliage de poussette, rue, dépliage de poussette, métro avec escalator cassé, pliage de poussette, re-dépliage de poussette, contrôleurs de métro qui me laissent passer…encore un ou 2 pliage/dépliage bref…trajet sans encombre.

Et le Cracoucas dort comme un ange. Parfait, celui-là….

Le lendemain, pointage à la Commune. Les hommes sont convoqués le matin et les femmes l’après-midi, dans le sous-sol de la commune, que je connais puisque c’est là que se trouve le registre des étrangers – souvenez vous il y a 4 ans lorsque j’ai tenté de me domicilier dans cette commune. A Etterbeek, on cache les parias dans les sous-sols : étrangers et chômeurs, même combat….

Juste 2 constats à propos du pointage :
- Les hommes sont séparés des femmes. Pourquoi ? Ont-ils peur qu’un homme chômeur rencontre une femme chômeuse, qu’ils se mettent ensemble et fabriquent plein de petits chômeurs ?

- Alors que les hommes sont convoqués le matin, les femmes, elles doivent pointer l’après-midi. Logique, puisque ce sont, à priori, les femmes qui s’occupent des enfants et d’aller les chercher à l’école. C’est donc normal qu’on les convoque justement à l’heure de sortie des écoles….